Droite et gauche, un clivage toujours actuel
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Droite et gauche, un clivage toujours actuel
par Henry de Lesquen
1. Un clivage dépassé ? Alain Griotteray l'a montré dans son dernier livre, les gouvernements dits de droite ont fait une politique de gauche, de 1993 à 1997 . La gauche revenue au pouvoir n'a donc pas eu besoin de beaucoup innover et poursuit, en gros, dans la même voie.
Du reste, la gauche a beaucoup évolué, de son côté. Elle a fait du chemin en direction de la droite, du moins en matière économique. Le déclin du marxisme et l'effondrement des régimes communistes l'ont obligé à reconnaître la supériorité de l'économie d'entreprise et elle ne prétend plus "rompre avec le capitalisme", ainsi qu'elle le disait en 1981. Comme, d'autre part, la droite établie ? le R.P.R. et l'U.D.F. ? n'est pas sortie du "Yalta culturel" qui abandonne à la gauche les "sujets de société", et qu'elle s'est ralliée au projet d'Europe fédérale, la différence est aujourd'hui négligeable, au niveau des programmes ou des discours des états-majors, entre l'une et l'autre.
D'ailleurs, s'il n'y avait pas une certaine connivence entre l'ex-majorité et la gauche, comment expliquer que MM. Chirac, Juppé et tant d'autres de leurs amis n'aient cessé de désigner le Front national comme leur adversaire principal ?
Ne nous laissons pas berner par le petit "jeu de la différence". Le parti socialiste d'un côté, et les partis de l'ex-majorité de l'autre, voudraient nous faire croire qu'ils représentent des options bien tranchées. Ils sont, en réalité, tous dévoués à la "pensée unique". Bien sûr, il y a des nuances, mais l'inspiration est la même dans tous les domaines importants. Je lisais dans un grand journal du matin que, "sur l'immigration, la gauche a opté pour la "rupture"", et qu'"à la politique de la fermeté de la précédente majorité a succédé celle de la complaisance" . Si cela était vrai, le gouvernement Jospin aurait abrogé les lois Pasqua et Debré. Et s'il ne l'a pas fait, c'est qu'elles étaient déjà d'un extrême laxisme. Il se paye même le luxe de les durcir, en allongeant le délai de détention des immigrés illégaux. Sait-on que sous l'empire de ces fameuses lois, qui sont présentées à tort comme sévères et répressives, 20 % seulement des arrêtés de reconduite à la frontière sont exécutés, ce qui signifie que 80 % des étrangers en cause sont libres de poursuivre leur séjour illégal sur le sol français ?
Faut-il en conclure que le clivage droite-gauche est dépassé ? Ce serait une lourde erreur. En effet, la gauche demeure un puissant foyer idéologique qui exerce une influence néfaste sur la vie politique et culturelle de notre pays. Si un Philippe Séguin est classé à droite, c'est probablement qu'il y a une erreur d'étiquetage, et cela prouve tout au plus que les électeurs peuvent se laisser berner par des hommes politiques rusés, adeptes du double langage et habiles à afficher, surtout lorsqu'ils sont dans l'opposition, des convictions qu'ils ne partagent pas. Ce n'est pas parce qu'il y a une fausse droite que la vraie droite n'existe pas : elle est bien présente dans les profondeurs du pays, et pas seulement dans l'électorat du Front national. Pour s'en persuader, il suffit d'interroger nos concitoyens. La confusion actuelle ne sert pas la démocratie. Il faut donc rétablir la vérité, montrer les vrais enjeux du débat politique, et faire ressortir ce qui distingue la droite de la gauche.
2. Le poids de la gauche
a) Une influence néfaste
L'alignement de la droite classique sur les idées du camp adverse traduit la prépondérance intellectuelle de la gauche, qui ne réduit pas, bien au contraire, la nécessité de la combattre, donc de prendre conscience de la réalité du clivage droite-gauche. Les partis de gauche ne veulent plus faire disparaître les entreprises, mais ils demeurent d'ardents défenseurs de la social-démocratie et de l'Etat-providence. De plus, par un phénomène psychologique de compensation, la gauche a surinvesti des thèmes qui n'occupaient pas naguère autant de place dans son discours : le féminisme, l'antiracisme, les droits de l'homme, ou qui sont même nouveaux : "le refus de l'exclusion". Le socialisme étatiste a passé le relais à un néosocialisme cosmopolite, qui est devenue la nouvelle idéologie dominante. Sous cette forme, les idées de gauche ont acquis un quasi-monopole, comme le révèle l'examen des divers domaines de l'action politique.
- La gauche signifie plus d'impôts et de prélèvements obligatoires ? C'est vrai : M. Jospin les a majorés de 40 milliards de francs en 1997 - mais M. Juppé les avait augmentés de 120 milliards en 1995.
- M. Jospin a mis les allocations familiales sous plafond de revenu ? C'est mal, mais il reprend là un projet de M. Juppé.
- Les trente-cinq heures ? Voilà, certes, une mesure typiquement socialiste : mais Mme Aubry n'a fait qu'étendre la loi Robien, adoptée par l'ancienne majorité, qui organisait déjà le "partage du travail".
- En matière de justice et de sécurité, Robert Badinter avait rêvé de parachever une longue évolution en faisant un nouveau code pénal d'inspiration totalement socialiste, donc laxiste ; la gauche l'a voté au début de 1993, juste avant le changement de majorité... et le gouvernement Balladur l'a appliqué à partir du 1er mars 1994.
- En ce qui concerne la famille, la démolition des principes du droit civil qui a été entreprise dès le début des années soixante-dix, sous Pompidou, se poursuit continûment depuis près de trente ans, avec les résultats que l'on sait, et risque d'atteindre son paroxysme, avec le "contrat d'union civile". Dans ce contexte, les associations familiales ont beau mettre un foulard rouge aux manifestants, elles n'arriveront pas à faire oublier que la défense de la famille est un thème de droite !
- Le traité de Maëstricht a pour objet d'instituer, à terme, des "Etats-Unis d'Europe", où la France aurait perdu sa souveraineté et son indépendance. Il est une étape dans la réalisation d'un "espace sans frontières" aux dimensions du monde qui est le but ultime d'une gauche cosmopolite.
J'ai déjà évoqué le cas de l'immigration, et je pourrais continuer indéfiniment ce triste bilan, en vous parlant de la drogue (la distribution de seringues aux toxicomanes est une mesure de l'ex-majorité qui remonte à la première cohabitation), de la réquisition des logements vacants (là, c'est Jacques Chirac, en tant que maire de Paris, qui peut revendiquer l'initiative de cette atteinte au droit de propriété), sans oublier la culture et de l'éducation (Philippe Douste-Blazy était-il meilleur ministre que Jack Lang ? François Bayrou que Claude Allègre ?).
Pour les symboles aussi, les électeurs de droite ont été servis. C'est Jacques Chirac, et non François Mitterrand, qui a donné le statut d'ancien combattant aux membres des brigades internationales, ces militants d'extrême gauche qui se sont engagés dans une armée étrangère pendant la guerre civile d'Espagne. C'est encore Jacques Chirac qui a déclaré la France éternellement coupable à l'égard des juifs, alors que Mitterrand s'y était obstinément refusé.
Le tableau est accablant. Il révèle la force extraordinaire des idées de la gauche dans notre pays, dont on ne peut mesurer la portée qu'en situant celle-ci dans notre histoire intellectuelle.
b) Une figure permanente de notre histoire
Malgré le désordre des esprits, l'incertitude des étiquettes et les ruses des hommes politiques, il demeure, entre la droite et la gauche, un clivage permanent et fondamental. Il s'est imposé lors de la "crise de la conscience européenne" que Paul Hazard a situé entre 1680 et 1715 , et il est devenu surtout manifeste à l'occasion de la révolution française de 1789, quand les termes de "droite" et de gauche ont pris leur sens politique actuel .
Il serait anachronique d'appliquer à des périodes antérieures des notions qui n'ont de sens que depuis deux ou trois siècles. La gauche a des origines lointaines, puisqu'elle se rattache au millénarisme et à la gnose, à ces mouvements hérétiques qui ont cheminé obscurément depuis l'Antiquité , mais elle n'a pris son essor qu'aux temps modernes, en tirant parti des contradictions qui semblaient se manifester entre le progrès et la tradition, entre la science et la religion. Certes, on peut retrouver l'origine des idées contemporaines dans les débats de l'antiquité ou du moyen âge. De plus, à toutes les époques, les forces qui s'affrontent tendent à se polariser en deux camps hostiles. Mais les mouvements qui apparaissent clairement comme des précurseurs du socialisme et de la gauche - par exemple, celui de Thomas Münzer, pendant la guerre des paysans, en Allemagne - étaient plutôt marginaux. Ainsi peut-on dire que, jusqu'à l'apparition de la "gauche" proprement dite, tout ce qui comptait était à droite ...
L'opposition droite-gauche répond à des visions du monde inconciliables, qui sont inscrites dans la mentalité collective de certains milieux sociaux et s'expriment plus ou moins nettement, en fonction des circonstances. La gauche se caractérise par diverses notions qui sont plus ou moins synonymes, dans ce contexte politique : elle se réclame de la révolution pour dissimuler le fait qu'elle lutte pour une utopie - les maîtres-mots qui la qualifient sont encore : "égalitarisme", "(pseudo?)progressisme" ; "(pseudo?)rationalisme", ou : "constructivisme", dans la terminologie de Hayek.
La ligne de fracture entre la droite et la gauche tient à l'essentiel, c'est-à-dire à la conception de l'homme, de la société et du monde. La gauche est l'expression de l'utopie égalitaire. Elle croit à l'égalité naturelle des hommes ; habitée par le mythe du bon sauvage, elle en tient aussi pour la bonté naturelle de l'homme et, avec Rousseau, nie le péché originel. Pour elle, toutes les règles sociales doivent être fondées expressément et uniquement sur la raison, c'est-à-dire que l'on pourrait les déduire de principes évidents par eux-mêmes, à condition de raisonner correctement. Il faudrait rejeter les traditions, l'héritage, et reconstruire la société en faisant table rase du passé.
Ainsi, il n'y a pas, à proprement parler, de "valeurs de gauche", car la gauche, au fond, n'a pas de valeurs, elle n'a que des utopies. Comme l'a souligné Edmund Burke dans ses Réflexions sur la révolution de France, les valeurs authentiques sont des préjugés légitimes qui ont été transmis par les générations passées. Elles ne se démontrent pas. L'homme ne peut les redécouvrir par ses seules forces. En adhérant à des valeurs, il refuse l'hybris de la raison pour faire preuve d'humilité vis-à-vis de la tradition. Le discours de la gauche sur la morale n'est donc qu'une mystification. Lorsqu'elle parle de justice, par exemple, c'est pour la confondre avec la "réduction des inégalités" ou "le refus de l'exclusion" - qui ne sont, par eux-mêmes, que des objectifs concrets plus ou moins bien précisés. A l'analyse, du reste, l'expression utilisée révèle ses présupposés utopiques, car il ne peut y avoir de société sans inégalités, ni sans exclusions.
Du reste, il est évident que les hommes et les partis qui se réclament de la gauche sont amenés à passer des compromis avec la réalité, et que l'opportunisme n'afflige pas seulement la droite. Dans les situations concrètes, les idées de gauche s'expriment rarement à l'état pur. Cela ne les empêche pas d'avoir une influence réelle et souvent décisive. 3. La nécessité de la droite
a) Une demande d'authenticité
Il est indispensable que les hommes de droite prennent conscience de leurs valeurs et luttent sans concessions contre la gauche et ses idées désastreuses. La manière la plus simple de définir la droite est de remarquer qu'elle s'oppose à la gauche. A contrario, on est de droite quand on reconnaît au moins certaines valeurs, certaines traditions. Ce qui fait l'unité de la droite, ce n'est pas qu'elle s'accorde sur une liste de valeurs, c'est qu'elle refuse le nihilisme de la gauche. Toutes les valeurs relèvent de la droite, parce que celle-ci est l'état normal de la pensée politique, tandis que la gauche est une pathologie, un syndrome de décadence.
Des hommes de droite et de gauche peuvent se retrouver dans le même camp à certaines occasions et sur des sujets particuliers, comme durant la guerre du Golfe ou au moment du référendum sur le traité de Maëstricht ; mais cela ne saurait traduire une convergence sur des valeurs communes. La question nationale est de première importance, et elle divise la droite, comme la gauche. Cependant, si un homme de gauche voulait assumer l'idéal de la nation dans sa réalité charnelle ? comme un héritage -, il serait obligé, par là-même, de se reclasser à droite. Bien peu paraissent en avoir le courage.
Le "ni droite ni gauche" est un slogan illusoire . Si nous avons raison de définir la droite par opposition à la gauche, il est logiquement impossible de ne pas être de droite, si l'on n'est pas de gauche, bien qu'il y ait en pratique toutes sortes de mélanges et d'accommodements : le "centre" est à moitié à gauche et, si l'on veut, à moitié à droite. Il n'est pas "ailleurs". Quant aux écologistes, il est clair que ce sont pour la plupart des hommes de gauche, en fait, bien que le thème de l'écologie puisse être revendiqué par la droite.
Il peut paraître frustrant de définir la droite de façon négative, comme le contraire de la gauche. Mais, en réalité, c'est cette dernière qui est essentiellement négation : elle est l'"esprit qui toujours nie", qui refuse à la fois la réalité, le vrai, et la morale, le bien. La droite est la négation de la négation, donc au fond se constitue comme un grand "oui" à la vie et aux valeurs.
Puisque les valeurs sont diverses, les droites le sont nécessairement elles aussi, selon qu'elles mettent plus ou moins l'accent sur telle ou telle d'entre elles : la nation, la liberté, etc. . Il y a "une gauche", mais "des droites". Donc, la gauche est homogène - en ce qui concerne, du moins, le fond de son inspiration ?, et c'est la droite qui est plurielle.
b) Des politiques de droite
La droite plurielle a pourtant besoin d'unité, si elle ne veut pas que la gauche reste indéfiniment au pouvoir. Elle doit donc rechercher une synthèse entre ses diverses composantes. Nous pensons qu'elle peut la trouver autour de deux idées forces : la liberté et l'identité. C'est la formule qui a fait le succès de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan aux Etats-Unis. On a parlé, à leur sujet, de "révolution conservatrice". Le président Reagan n'a pu gagner les élections et changer le cours de l'histoire qu'en réussissant à rassembler, d'une part, les economic conservatives, c'est-à-dire les libéraux, au sens français du terme, qui veulent moins d'impôts, moins de réglementations et de bureaucratie, et, d'autre part, les social conservatives, ou traditionalistes, attachés à la patrie, à la famille, à la religion. C'est aussi ce qu'a réalisé, plus récemment, en Italie, le "Pôle des libertés" de MM. Berlusconi et Fini. La France doit s'inspirer de ces exemples étrangers, car ils sont les représentants d'un puissant courant qui traverse l'Occident tout entier.
La coalition R.P.R.-U.D.F. qui a gouverné la France après les élections législatives de mars 1993 et jusqu'à celles de 1997 a pratiqué une "alternance molle" qui n'a pas tardé à décevoir les Français. Il est nécessaire, évidemment, de battre les socialistes. Mais il est encore plus important de vaincre le socialisme.
Un gouvernement de droite devrait en priorité :
- d'une part, libéraliser l'économie, et, pour cela, privatiser et déréglementer ;
- d'autre part, protéger et renforcer l'identité de la France et, pour cela, restaurer les frontières et rétablir la préférence nationale.
Notre propos n'est pas, ici, de développer ce qui pourrait être le programme d'une union de la droite, mais il est clair que ces orientations rompraient avec ce qui se fait dans notre pays depuis plus de vingt ans.
4. Vers l'union de la droite
Le Club de l'Horloge adhère aux idées de la droite nationale et libérale. Il a pour mission de développer un corps de doctrine pour la droite tout entière, qui justifie le rejet du socialisme et de ses séquelles, en combinant deux principes : la liberté individuelle et l'identité nationale. Sur le plan intellectuel, on peut dire que le travail déjà accompli par nous et par d'autres trace clairement les orientations à suivre. Mais il revient aux partis, qui soumettent des propositions aux suffrages des citoyens, d'assumer ces idées et de les faire prévaloir dans le combat politique. Pour cela, il faudra, tôt ou tard, (et mieux vaudrait tôt que tard), faire l'union de la droite, en faisant entrer le Front national dans une alliance de gouvernement. Il n'y a pas d'autre voie pour le salut de la France, car c'est bien cela qui est en jeu, sous l'écume des polémiques politiciennes.
L'Italie nous a montré la voie : le "scénario italien" signifierait que des forces nouvelles se détacheraient de la droite classique et s'associeraient au Front national pour battre la gauche, en créant ainsi une dynamique qui conduirait à la victoire. L'Italie a su le faire, pourquoi en serions-nous incapables ?
Moi aussi, j'ai fait un rêve : celui d'une France libre et forte, gouvernée par de vrais hommes de droite, et débarrassée de la gauche pour toujours... C'est alors, enfin, que le clivage droite-gauche pourrait être dépassé !